en finale

Liverpool et ses "fabulous fans" à nouveau en finale
LE MONDE | 04.05.05 | 13h14 • Mis à jour le 04.05.05 | 13h14
Liverpool de notre envoyé spécial



rafael, tu es le meilleur" , "Istanbul, Istanbul, nous voilà !" . Sur les airs de La Bamba et de Yellow Submarine ­ hommage à l'Espagne du manager Rafael Benitez et aux Beatles ­, les supporteurs du FC Liverpool se déchaînent à bord de l'autobus no 14. Pris de peur, le chauffeur arrête le véhicule et appelle la police. Mais les bobbies n'ont pas le coeur à interpeller la poignée de trouble-fête.

Cela fait vingt ans, depuis la finale tragique du Heysel, perdue face à la Juventus Turin (0-1), que les Liverpudlians attendaient leur dû. Et voilà que leurs chers Reds accèdent enfin à la finale de la Ligue des champions, grâce à leur victoire sur Chelsea (1-0), mardi 3 mai, dans leur stade d'Anfield Road, en demi-finales. Au match aller, les deux équipes s'étaient séparées sur un triste score nul (0-0). Le seul but de cette ennuyeuse double confrontation entre deux des meilleures équipes anglaises a été inscrit par l'Espagnol Luis Garcia (4e).

Et personne ne peut dire si le ballon a réellement franchi la ligne. José Mourinho, l'entraîneur de Chelsea, est sûr du contraire : "Ce n'était pas un but, assure-t-il. Quand on n'est pas sûr à 100 % qu'il y a but, on ne l'accorde pas. Mes défenseurs près de l'action m'affirment que le ballon n'était pas rentré." Rafael Benitez, l'entraîneur de Liverpool, n'a pas d'états d'âme : selon lui, la défense de Chelsea avait de toute façon commis une faute valant un penalty.

But, pas but ? Dans le bus nº 14, les supporteurs de Liverpool ne se posent plus la question depuis longtemps. Les bobbies ont filé à l'anglaise. Le bus est reparti avec ses joyeux fans, fiers, sans honte mais sans haine. Ils continueront de chanter jusqu'au terminus, l'hôtel Adelphi. Dans le grand salon de ce célèbre palace, où se réunissait jadis la haute société pour les départs et les arrivées des paquebots transatlantiques, la bière se vide par tonneaux. Des jeunes gens ivres se traînent dans le hall. Les vigiles ne disent rien. Dans cette ville en mal de considération, mais bénie par le dieu Foot, ils sont tous à espérer que ce rêve éveillé ne restera pas sans prolongement. "Let's Go Liverpool" : ici, quand le foot va, tout va...

"José Mourinho n'est pas le bienvenu à Liverpool. Cela avait été également le cas quand Hitler était descendu à l'hôtel Adelphi" : le jour du match, le Liverpool Echo, le quotidien local, avait évoqué, sans trop de décence, un règlement de comptes personnel entre la métropole du Nord-Ouest et l'entraîneur de Chelsea ­ Hitler, bien sûr, n'a jamais mis les pieds à Liverpool. On reproche ici au Portugais d'avoir nargué les fans des Reds lors de la finale de la Coupe de la Ligue, à Cardiff, remportée par les Blues de Chelsea (3-2), en février. Surtout, on en veut à "José le magnifique" d'avoir tenté, pour l'heure sans succès, de recruter l'enfant chéri du Merseyside, Steven Gerrard, le vaillant capitaine de Liverpool.

"Vous ne mettrez pas la main sur ce gadget, "Chelski"" : comme l'indiquaient des banderoles, en Grande-Bretagne, toutes les prouesses sont admirées, sauf celles de l'argent. Le propriétaire de Chelsea, l'oligarque russe Roman Abramovitch (d'où ce surnom de "Chelski" ), avait eu l'arrogance de louer la discothèque la plus chic de la ville pour célébrer la victoire. Le triomphe de Liverpool, c'est, bien sûr, la revanche de "Mrs Nobody" ("Madame Personne" ) sur les nantis et sur Londres.

Chelsea, c'est un peu le symbole des nouveaux riches. L'équipe de Liverpool a développé, elle, un formidable esprit d'équipe, celui qui gomme les egos. Nul ne symbolise autant ce trait de caractère que le défenseur côté gauche, Jamie Carragher, un Scouse (habitant de Liverpool) de souche, désigné meilleur joueur de la rencontre par la chaîne Sky Sport.

"LA PASSION"

Après le score nul du match aller, Liverpool a résisté à la tentation de se lancer à l'offensive et d'offrir ainsi des espaces à Chelsea. Alors que les Londoniens ont montré des signes de fatigue à l'approche de la fin d'une saison éreintante, les Rouges, soutenus par les "fabulous fans" d'Anfield Road, ont su défendre leur avantage jusqu'au bout en jouant ensemble.

"Cette qualification marque notre retour sur le devant de la scène au plus haut niveau. Pour la jeune génération dont je fais partie, c'est un sentiment incroyable" , jubile, entre deux gorgées de bière, Richard Peddler, qui dirige le Liverpool Supporters Club. "Ce qui nous arrive est fantastique. C'est un coup de projecteur fabuleux. Cette victoire nous sert sur un plateau de belles retombées médiatiques et touristiques qui tombent à point nommé" , ajoute Mike Storey, chef du Liverpool City Council, la municipalité dominée par les libéraux-démocrates (centristes).

"Le Kop, c'est la passion du Christ" , affirme Mark Lawrenson, commentateur de la BBC, à propos des plus fervents des supporteurs de Liverpool. Ce jugement est largement partagé par Rafael Benitez : "Jusqu'à présent, je pensais que nous avions les meilleurs supporteurs d'Angleterre, mais, en fait, c'est d'Europe qu'il faut parler."
Marc Roche
Article paru dans l'édition du 05.05.05